[Quelques notes] Dans ma tasse de thé
RECUEIL COLLECTIF
Interroger notre intimité, questionner le temps qui passe et l’empreinte que laissent ces petits riens qui jalonnent notre vie, reconnaître dans l’individualité de l’autre ce qui fait écho à notre propre sensibilité.
Une création originale qui fait la part belle à la musique et qui prend la forme d’un recueil au long cours. Chaque mois, nous découvrirons le texte de l’un des dix artistes invités à participer à ce travail d’écriture intérieure.
Direction du recueil, photographie de couverture et préface : Fabrice Décamps
Préface
La musique est tout à la fois langage, nourriture, médecine, voyage, délice, plurielle. Elle nous rappelle à nous-mêmes chaque fois que nécessaire. Elle est réponse et solution, force et mélancolie, comme un amour qui ne nous fera jamais défaut, douée du pouvoir de nous renvoyer tout entier, cœur et âme, dans le sentiment de notre peau d’avant. Nous avons grandi, changé, muri, vieilli sans doute, mué au sens existentiel du terme, vibratoire, harmonique, mais la musique, qui nous a ravis, marqués, habités, autrefois, nous retrouve toujours, là où nous en sommes, nous débusque et nous trouble avec la même puissance répétée, inaltérée, avec la même beauté que la toute première fois, une beauté qui s’est nourrie de tant de réécoutes qu’elle demeure à jamais courant de vie et de sève en nous. Chaque fois, elle nous fait basculer dans le vertige de notre existence. Il nous suffit d’un morceau bien particulier, peut-être une chanson sublimement tatouée en nous d’un amour d’antan, et tout nous revient au bord du cœur, comme un mot précieux au bord des lèvres, éprouvé et informulable.
Ici, un ou une artiste nous offre une perspective à voix nue sur les coulisses d’une de ses madeleines de Proust, à ce détail près que le chemin emprunté pour rejoindre le cœur passe ici par les oreilles.
Texte 1 : Un train en persistance de Fabrice Décamps
Texte 2 : Votre fille a vingt ans de Armelle Le Golvan
Texte 3 : Instantané de velours de Guylaine Monnier
Texte 4 : Harmonie de pressions légères de Amélie Guyot
Texte 5 : Etats d’âmes 1, Vienne de Marie-Philippe Joncheray
Un train en persistance
Texte & Voix : Fabrice Décamps

Un train en persistance de Fabrice Descamps in [Quelques notes] dans ma tasse de thé
Il y a plénitude dans ce voyage intérieur rejouant le souvenir d’un ancien voyage.
La noire est fixée à soixante-quatre battements par minute, un tempo propre à l’apaisement. Une guitare électro-acoustique douze cordes entre seule sur les quatre premières mesures et déjà s’invite et s’invente le sentiment mémoire de moi-même, de qui d’autre sinon, sentiment si souvent rejoué, si souvent réinterprété, qu’il en est palimpseste, boucle, vrille, pas de vis, serpent se mordant la queue. Hier. Aujourd’hui. Mon âme entre les deux. Bowie plaque un accord de do, sur une rythmique down up down, down up down, down up down, down up down, puis un accord de sol, et aussitôt une porte s’ouvre au-dedans de mon ventre, de mon cœur et de tout le reste, je reviens au monde d’un monde qui ne reviendra plus, quelque chose là se dénoue, vibre, prend son envol, se brûle les ailes, phénomène de combustion spontanée, ce qui fait le feu même de la nostalgie, le sel de la vie qui passe, qui a passé. Je sais que j’avais vingt ans à bord de ce train, je ne le regrette pas, nota bene, un train roulant entre Paris et Royan, mon casque de walkman vissé sur les oreilles, mes rêves en devenir chuchotés chevillés à l’âme, des illusions sur la vie, ramassées à la pelle avec une naïveté de chrysalide, tout un tas d’espoirs en stock, qui ne seraient pas tous trahis, non, un bac de lettres tout juste empoché avec deux ans de retard sur la norme, une forte envie de me mettre à la guitare aussi. Time takes a cigarette, annonce Bowie et la beauté du chant tient en équilibre au bord d’un certain abîme, insondable, mais tapissé de velours. Il y a une fêlure dans cette voix flûtée, embrasée et solaire, une fêlure dont il joue, une frontière subtile, mouvante, conjonction entre force et fragilité, murmure et cri, gestation et création. En compagnie de ma petite amie d’alors, amour qui n’en finissait pas de finir, et d’un autre couple d’amis, nous nous étions installés dans un compartiment, rien que pour nous, groggys par notre nuit blanche passée à errer dans Paris en cercles concentriques autour de la gare Montparnasse, dans l’attente de notre train matinale. A présent, le paysage défilait en cinémascope derrière la vitre du compartiment, le ciel d’un bleu profond, des couleurs sublimées, des formes brossées par la vitesse, ma vraie-fausse petite amie endormie à mes côtés, le balancement du wagon, mon cœur galopant sur la ligne d’horizon, l’album The Rise and Fall of Ziggy Stardust and the Spiders from Mars, produit l’année de ma naissance, touchait à sa dernière chanson dans mon walkman. Nous avions vingt ans ensemble. J’avais acheté la cassette la veille à la Fnac du boulevard des Italiens. Une découverte pareille, ça vous marque pour la vie. Jusque-là Bowie n’avait été à mes yeux que le chanteur élégant, costumes deux pièces et yeux vairons, du tube planétaire Let’s Dance, qui me renvoyait, qui me renvoie aujourd’hui encore, invariablement, en culottes courtes sur les bancs de l’école primaire.
La première minute s’apparente donc à une balade inspirée, lisse et rugueuse à la fois, pleine et dépouillée. Bowie et sa guitare jouent cependant le jeu précis, élaboré, d’une mise en tension qui va se résoudre en deux temps jusqu’à l’apothéose finale. Pas de refrain entre le premier et le second couplet. Simplement, quatre battements de grosse caisse, tandis que la guitare se tait et que Bowie déclare You’re a Rock’n’roll Suicide. On pressent mieux encore la survenue d’un changement, d’une envolée, dans le fait même qu’elle se refuse pour l’instant. Bowie reprend le pattern originel, grattant ses cordes down up down, down up down, etc. Derrière les mots du second couplet, You’re too old to do that, une guitare électrique, discrète, égraine les notes du thème, too young to choose it, accompagne la suite jusqu’au prochain pallier. Bowie souligne cette attente, la perspective d’une libération que rien ne pourra retenir, de la même façon que rien ne peut empêcher la survenue du papillon, and the clock waits so patiently on your song. Genre de promesse qu’on se fait à soi-même et qui engage pour la vie. A l’arrivée du refrain, de nouveau quatre coups de grosse caisse, puis la chanson s’ouvre, la batterie s’emporte d’un long roulement, la guitare électrique grince sur les temps, la basse flirte avec Bowie sur une ligne bondissante et surviennent des notes de cuivres qui lui répondent. Don’t let the sun blast your shadow. Mais s’agit-il vraiment d’un refrain ou d’une forme de métamorphose inextinguible de la chanson, séparant le chuchotement du cri, comme une lame de fond qui surgit des profondeurs ? Car il n’y a pas de retour sur le couplet après les mots religiously unkind, tout se déploie et s’embrase, se superpose et s’harmonise, explose, une section de violons réaffirmant l’échappée extatique, oh no, love, you’re not alone, la suite est alors comme soufflée par une tempête grimpant en puissance jusqu’à la note finale, qui aura toujours cette manière si particulière et intense de résonner en moi, de m’enraciner toujours plus loin, à bord de ce train roulant entre Paris et Royan, ce jour d’août 1993. C’était il y a tout juste trois minutes de ça.
Titre choisi par Fabrice
Votre fille a vingt ans
Texte & Voix : Armelle Le Golvan

Votre fille a vingt ans d'Armelle Le Golvan in [Quelques notes] dans ma tasse de thé
Un samedi après-midi. Classique. Les filles nous précèdent dans leurs robes baroques. Excès de dentelle, de matière. Princesses. Elles en raffolent.
Pas moi.
Le père, mari pour l’occasion, à distance sur ma droite. Il s’agit de sa cousine. J’y assisterai donc. À cette fête. Mariage chilien… américain… et un brin français. Nous sommes au cœur de la Sologne après tout.
Le plan de table. Mes filles à l’écart. Tradition. Qui me transperce le ventre.
Je m’assieds. Docile. Je ne cherche nullement le visage, la connaissance. Mes doigts jouent avec les plis de la nappe ivoire. Je ne chercherai pas ma place, la véritable, pas le prénom joliment calligraphié sur le menu, le sachet de dragées. Je ne trouverai jamais ma légitimité ici.
Les minutes en gorgées de champagne. Le brouhaha qui enveloppe. Réconforte… presque.
Un tintement métallique. Une silhouette en érection sur ma droite.
Le silence.
La main fine du jeune homme endimanché. La feuille dépliée. La posture. Quasi altière. À peine un tremblement de gorge et le voici qui commence :
« Votre fille a vingt ans. Que le temps passe vite ! Madame, hier encore, elle était si petite. Et ses premiers tourments sont vos premières rides, Madame… »
À capella.
Je n’ose regarder la mariée. Encore moins sa mère. Une main m’enserre l’utérus. Trop. Trop fort. Trop terrifiant. J’attends en apnée. Que cela cesse ! J’ai un besoin viscéral d’étouffer mes filles de mon amour. Mes yeux les appellent. Elles se moquent du chant, des mots, de moi. D’autres enfants, d’autres voix, d’autres mains leur suffisent.
Les applaudissements. L’émotion palpable. Je respire à nouveau.
Les mariés approchent. Embrassades. La mère à son tour. Des larmes en remerciements. Il me semble qu’elle pourrait s’écrouler dans la seconde. Je détourne le regard.
La fête reprend doucement le dessus.
J’interroge le jeune homme. Pourquoi ? Pourquoi cette chanson ? Ses yeux las daignent se poser sur moi. Ce n’est peut-être pas du dédain. Ni du mépris. Mais sans doute n’aurais-je pas posé cette question si j’avais su, comme les véritables proches ici présents, qu’il s’agissait de la chanson préférée du père de la mariée, parti il y a tout juste six mois. Le noeud au fond de ma gorge effacera tout souvenir du reste de la soirée. De la nuit certainement. J’ai vraisemblablement salué les mariés. Vraisemblablement réveillé mes filles pour les porter jusqu’à la voiture. Je me suis immanquablement réveillée avec un léger mal de tête. Tout est resté vague. Flou.
Tout sauf cette chanson.
…
« On la trouvait jolie et voici qu’elle est belle… »
Seize ans plus tard. Ma fille. La dernière. Ses dix-huit ans. Une fête familiale ? Soit. Une surprise alors.
Comme à l’accoutumée, je vais poser mes mots sur un air connu de tous. En tout cas… d’elle.
Une évidence. Reggiani.
J’essaie d’y glisser un peu d’humour. De la tendresse. Mon amour.
Je plie soigneusement la feuille dans mon sac. Il me la faudra l’instant venu. Je connais les mots. Les miens. Mais je sais l’émotion qui va me submerger. Inévitablement. Ne pas faillir. Un A4 en guise de béquille.
La soirée en fleuve tranquille. Ma fille en apparence comblée.
Le dessert. C’est le moment. Classique.
Je me dresse devant l’assemblée.
Ma fille sait. Ses yeux brillent déjà. J’enfonce mes ongles dans la paume.
Ma gorge tremble.
À capella.
« Tu as eu dix-huit ans, que le temps passe vite ! …»
Son bleu dans le mien. Je ne vois qu’elle. Surtout ne pas craquer.
Je craque… un peu. Juste sur les derniers mots.
Je devine des applaudissements. Cela importe peu. Mes yeux l’invitent.
Ses joues de sel sur mon cou. Mes bras qui l’étouffent. Mon amour.
Mon souvenir. Le sien j’espère. Notre chanson. La chanson.
Titre choisi par Armelle
Instantané de velours
Texte & Voix : Guylaine Monnier
Version écrite du texte non diffusée.
Titre choisi par Guylaine
Harmonie de pressions légères
Texte & Voix : Amélie Guyot

Harmonie de pressions légères de Amélie Guyot in [Quelques notes] dans ma tasse de thé
Ça se passe en haut des escaliers. Ça se passe toujours en haut des escaliers.
Maman est de dos. Je détaille sa nuque. Des boucles éparses cascadent ses épaules nues.
C’est l’été. J’ai quitté l’ombre du tilleul et ses fleurs odorantes pour la rejoindre dans l’humidité
rassurante des pierres de tuffe. Au mariage de tes parents les villageois l’ont décoré.
Colifichets en bois et guirlandes d’épis de blés disséminés d’une branche à l’autre.
Dans les albums photo on reconnaît les jeunes mariés. Ils dansent et se chavirent
à l’intérieur de l’octogone. La somme des angles internes les fait rayonner.
Maman porte une robe ivoire ajourée dans le dos. Rehaussée d’un bouquet de pivoines.
J’imagine le parfum de tubéreuse mêlée à l’ivresse de la noce. Son sillage.
Sa résistance au temps.
Aucune saison ne renie les autres. Août bouscule mars. Et avril promet février.
A l’instant elle déchiffre une partition. Annote ici et là des intentions que je n’arrive pas à lire. Elle gomme. Elle ajuste. Elle rit.
D’un rire cristallin. Peut-être un peu au dessus. Peut être légèrement forcé.
Elle se sait espionnée.
Maman n’est jamais présente lorsqu’elle joue. Elle s’absente.
Elle fait avec les heures une roue libre. Et milles motifs connus d’elle seule.
Plus tard quand elle aura quitté le banc d’écolier j’irai religieusement déchiffrer les partitions malmenées. Parmi les indications de jeu, je retiens noté entre guillemets face à un entrecroise
ment de clefs de sol
il faut «jouer avec conviction et tristesse rigoureuse ».
Maman tourne son visage vers moi. La lumière sculpte son profil.
Je note tout _ le nez la bouche le grain de peau lisse. Les joues rebondies.
Un soupçon de fatigue derrière ses yeux verts.
Un petit rien dans sa façon de plier les lèvres contredit son âge.
Devant son piano maman est à nouveau une petite fille.
Les mains courent vite sur les croches. Ni les moissonneuses batteuses ni les grillons ne filtrent.
On entend seulement les cordes frappées par les marteaux couverts de feutre
Harmonie de pressions légères. Vite relâchées.
Plus tard la contemplation se poursuit dans le rêve.
Et d’où je la regarde encore je l’entend et me souviens que les choses pensent autant que
nous.
Davantage. Certainement plus vite.
Les pensées accélèrent le rythme cardiaque bien avant de les connaître.
Les pensées me conduisent toujours au pied de l’escalier.
Et je n’ai de cesse de le gravir. J’essaie de le dompter. Marches après marches.
Jamais je n’atteins son sommet. Les Gymnopédies se poursuivent et je sens qu’il y a une confusion sur la nature même de la pensée. Les souvenirs dépassent les souvenirs.
L’ escalier conte davantage de marches. Maman joue plus longtemps. Aucune porte ne claque.
Personne interrompt ses gammes. Le métronome ne s’arrête pas.
Les mains sont déliées. Portent loin la mélodie.
Dans le rêve tout est permis. Sans restriction. Aucune toile ou aucun nuage ne séparent les enfants de tout ce qu’ils voudraient traverser et comprendre.
Deux accords de septième majeur dominent l’après midi. La journée. Le mois. Le temps qui reste.
Dans le rêve maman est comme ces oiseaux qu’on lâche en pleine mer pour retrouver son chemin. Ils volent très haut pour voir la côte.
On ne les quitte pas du regard. On les suit coûte que coûte.
L’oiseau est la survie. Maman la marche à suivre.
Trois mouvements se poursuivent. Pièces légères. Éthérées. Luisantes.
Hommage aux festivités tenues à Sparte en l’honneur d’Apollon et des guerriers morts.
Je me figure les armures ciselées. Les champs de batailles. Les libations après le retour des héros.
Les stèles ou se gravent les charges et les conquêtes.
Plus maman joue. Moins je trouve les pièces légères.
Au contraire je sens grandir un nœud qui éclate à chaque variation.
La transparence se fait inhabituelle et c’est à moi de trouver le chemin parmi les barres de mesure.
Plus tard Satie précise l’image de l’escalier.
Sa découpe. Son palissandre élimé là ou les pas se sont succédés.
Sa rambarde censée protéger des chutes et sur laquelle dans l’entrée on trouvait amassés
laines moelleuses et petits manteaux. Et sur la dernière marche trône mon vieux cousin. Vigie absolue. Sommet silencieux. Velours feutré où scruter les touches noires et blanches dans l’attente impassible que maman viennent les chahuter.
Plus tard je profite vaille que vaille des leçons d’une voisine de palier sur un piano désaccordé.
Depuis le piano est rêvé ou imaginé. Pratiqué en fonction des opportunités.
Ritualisé avec la banalité d’une bouteille qu’on jette à la mer les nuits de tempête.
Plus tard je retourne à la maison. Je prends mon temps. J’utilise des raccourcis qui font dévier la route. Je retarde.
La maison est grande. Vide. Silencieuse. En sommeil.
Des rideaux mangent les meubles. Le Courrier de l’ouest /novembre 2014 enveloppe les bibelots.
Tout a été méticuleusement rangé. Classé. Oublié.
La poussière bouloche le sol et les araignées règnent.
J’avance lentement vers les trois pieds qui débordent un tissus vert.
Il faut du temps pour revenir chez soi. Je touche le piano. Le geste est timide.
Reste sur le bois l’empreinte de maman. J’ai peur d’effacer les traces invisibles.
La somme d’espérances que le futur n’a pas réalisé.
Titre choisi par Amélie
États d’âme 1, Vienne
Texte & Voix : Marie-Philippe Joncheray

"Etats d'âme 1, Vienne" de Marie-Philippe Joncheray tiré de "[Quelques notes] dans ma tasse de thé"
Ce matin je me lève avec un grand sentiment de vide, de manque, une étrange sensation, un essoufflement, une sorte de dépression, je suis comme une grande plaine dépressionnaire, mon ventre est creux mais je n’ai pas faim, et en même temps j’éprouve un immense espoir, de la joie, une sorte de tristesse heureuse. Est-ce que c’est du désir? Je suis vivante, terriblement vivante et sensible ce matin.
Et je me mets à chanter cette chanson-là
si je t’écris ce soir de Vienne
mon amour je veux que tu viennes
ou plutôt cette chanson vient me visiter
et je me rends compte que ce manque c’est toi
cette dépression
cette grande joie
c’est toi
dans cette chanson,
au début
c’est Barbara qui le quitte, elle dit
si je t’écris ce soir de Vienne chéri
il faut que tu comprennes
j’étais partie pardonne-moi
notre ciel devenait si lourd
et puis à la fin elle est seule, c’est long, elle se demande s’il l’a oubliée, elle a peur
alors elle l’appelle, elle lui demande de venir
si je t’écris ce soir de Vienne
mon amour je veux que tu viennes
c’est toute ma vie ça…
te quitter parce que ce n’est pas parfait
et te rappeler parce que je ne peux pas vivre sans toi, je ne peux pas
elle dit aussi
et tu m’as gardée malgré moi
et c’est vraiment ça
j’aurais voulu rester seule et libre toute ma vie
mais malgré moi
j’ai toujours voulu la chaleur de ton corps
Il est minuit ce soir à Vienne
mon amour je veux que tu viennes
tu vois je m’abandonne
il est si beau l’automne
et je veux le vivre avec toi
cette chanson monte et se déploie
parce que tu me manques
parce que j’aime sa mélancolie
parce que je chéris ce manque
qui me fait éprouver la force de mon amour
je me rappelle toutes mes crises
toutes nos séparations
toutes ces épreuves
qu’est-ce que j’ai pu être folle…
je ne dormais plus, je ne mangeais plus
avant qu’il ne devienne évident
que je devais rester contre toi pour vivre
Cette chanson je me la chante,
elle me berce
et je me soigne comme ça
et je le garde profondément en moi ce manque de toi
ce mal de toi.
Titre choisi par Marie-Philippe
Le rythme de mes nerfs
Texte & Voix : Sylvie Goryl

Le rythme de mes nerfs de Sylvie Goryl in [Quelques notes] dans ma tasse de thé
Je devais avoir seize ans et mon frère la vingtaine. Nous vivions dans la même chambre. Dans le lit à étages, c’était moi qui étais en haut, et lui en bas. Et entre le mur et le mince espace qui s’y trouvait, il y cachait des tas de paquets de gâteaux, toujours les mêmes, ceux avec du chocolat dessus. J’entassais pour ma part des carnets, des stylos-plume qui régulièrement tachaient les draps et la housse de couette. Nos parents nous avaient bien propose de déménager pour que l’on ait chacun notre chambre, chacun notre espace vital, mais non, je ne voulais surtout pas d’une chambre pour moi toute seule. J’en aurais fait quoi de cette chambre ou seules mes affaires traineraient, ou seules mes pensées se perdraient. Lui, ne s’était pas prononce sur le sujet, de toute façon, il y passait le plus clair de son temps, allonge sur son lit, alors que ce soit dans cet appartement ou dans un autre, cela lui importait peu. Mais parfois, il sortait. Et quand il sortait, il prenait le train pour aller seul a Paris. Il quittait alors notre banlieue parisienne pour quelques heures durant lesquelles il disparaissait totalement. Pendant ce temps la, je vaquais a mes occupations avec ma bande d’amis, toujours les mêmes. On rigolait bien tous ensemble. La bonne humeur était toujours au rendez-vous. Seule ombre au tableau, l’age avançant, j’avais de plus en plus de mal a partager leurs gouts en matière de cinéma, et pire encore, quand il s’agissait de leurs choix musicaux. Je faisais la fine bouche des qu’ils mettaient un de leurs titres préférés, mais je refusais ostensiblement de mettre les pieds dans une salle de cinéma, si le film ne m’attirait pas. Quand je rentrais chez moi a la nuit tombée, mon frère était de retour, lui aussi. À peine la porte d’entrée refermée, je foncés dans notre chambre voir quelles trouvailles il avait pu ramener. J’avais fini par comprendre, il passait ses journées chez les disquaires du quartier Saint-Michel. Ses prédilections se tournaient souvent vers du rock punk comme les Clashs ou les Bérurier Noirs, ou dans un style un peu différent, plus langoureux, comme les Smiths. Mais ma plus grande passion fut le jour ou j’ai découvert, grâce a lui, les Pixies. Le premier album qui a envahi l’espace de notre pièce commune fut Surfer Rosa. Écouté des dizaines, voire des centaines de fois, et toujours avec la même fougue, le même plaisir. Enfin une musique qui parlait a mes nerfs, a mes perturbations internes. C’était comme une drogue, je me sentais libérée. Libérée et comprise. Puis, un jour, il est parti s’installer dans son propre appartement avec sa propre chambre. Il a évidemment embarque tous les albums qu’il avait accumules au fil des années. J’avais gagne un grand lit et un immense silence qui m’embarrassait plutôt qu’autre chose. Alors, je passais de moins en moins de temps dans cette chambre, de moins en moins de temps dans cet appartement. Je dormais chez des amis, essentiellement de nouveaux amis rencontres sur les bancs de la fac, j’y découvrais d’autres sons, d’autres musiques qui me plaisaient. Certaines me sont restées, d’autres ont quasiment disparu de ma mémoire. Je serais bien incapable de les apprécier aujourd’hui pour autre chose que les souvenirs qui s’y raccrochent. À présent, comme je suis de ceux qui passent un nombre incalculable d’heures devant leur écran a poursuivre leurs différents projets, quand cela m’est possible, j’écoute beaucoup de musiques depuis mon ordinateur. J’y fais quelques fois de jolies découvertes mais surtout, je reviens vers mes premiers amours. Pas une semaine qui ne passe sans que je n’écoute un titre, et souvent plusieurs, des Pixies. Ils m’électrisent des le réveil et me permettent d’affronter la journée sous de bons auspices. C’est simple, avec eux, j’aime tout. Le son, les voix, les textes, tout, absolument tout. Ils ont cette capacité a me plonger dans un état si particulier, que je ne sais plus quel age j’ai, si j’ai faim ou si j’ai soif, si le ciel est plombe ou lumineux. C’est une musique qui me traverse le corps, je la ressens dans mes jambes, dans mes mains, descendre le long de ma colonne vertébrale. C’est comme un lâcher d’endorphines incontrôlables. Une substance naturelle dont l’effet est sans cesse renouvelé, renouvelé et intacte. Comme au premier jour, comme a la première écoute. Je me suis récemment procurée cet album qui avait un jour quitte brutalement mon existence pour pouvoir l’écouter sur la route. Écouter de la musique en voiture est peut-être ce que je préférè au monde. La musique envahit l’habitacle, elle se cogne aux vitres, rebondit sur le tableau de bord, s’infiltre dans le siège sur lequel je suis assise. La route, les arbres qui bordent la route, le lac que j’aperçois parfois au loin, s’apparentent alors a un décor et n’ont plus d’autre fonction que d’accompagner ma traversée en solitaire. Je ne veux plus penser a rien. Je ne pense plus a rien.
Titre choisi par Sylvie
Les yeux fermés
Texte & Voix : Fabien Drouet

"Les yeux fermés" de Fabien Drouet tiré de "[Quelques notes] dans ma tasse de thé"
…
Les yeux fermés
je suis couché,
tête sur le coussin bleu et blanc jeté à la décharge il y a trente ans.
Un œil à venir
me regarde
par le trou de la serrure.
Cette chanson,
Cette nuit,
Cette porte,
me prouvent que le temps
est extérieur au corps.
Ma mère chante,
s’allume une Winston Light.
Je trouve une croûte sèche sur mon genou d’enfant.
Ils me disent que j’ai cinq ans.
Je suis sans rêves,
je sais déjà que le futur n’existe pas.
J’arrache la croûte,
et je m’avance
immobile, absent et complet,
vers ma main tenant ce poème.
Et l’enfant se console,
n’a plus rien à craindre de ce qui l’emmènera jusqu’à moi.
Il est temps de sortir.
Ma mère chante Piaf sur la scène du karaoké Le Green Pub. A Cullera, station balnéaire près de Valence en Espagne. Dehors, il fait une bonne trentaine de degrés. A l’intérieur, sur les fauteuils verts sombre, nous gardons la veste, et mon nez coule. La climatisation à fond refroidit l’odeur du tabac. On dirait la ZX de ma mère les matins d’hiver. Mais là, vraiment, mais alors vraiment, ce n’est pas le moment d’être malade ; juste après ma mère et Piaf, j’ai rendez-vous sur scène, pour chanter Bailar Pegados en duo avec Maude, une tourangelle largement dizenaire rencontrée la veille sur La Route de Memphis.
…
Avec mon frère, nous traçons un terrain et un filet sur la plage. Et nous jouons au Tennis ballon jusqu’au coucher du soleil. Ensuite, la douche. Puis les bornes d’arcade et le karaoké, pas si green que ça et c’était bien, maintenant que j’y pense.
Titres choisis par Fabien
Ma mère chante.
On ne choisit pas les chansons de son enfance…