
21 minutes, journal gratuit de poésie au sens large
MAI 2019
Une action poétique portée par Fabien Drouet :
Le journal en images




La distribution
Plusieurs centaines d’exemplaires du journal sont distribués à chaque fois dans différentes stations de Lyon et Villeurbanne.
Collecter la distribution…en images, textes et voix :
Station Guillotière
« Clic » de et par Fabien Drouet
9H04
le cabas de ma grand-mère, rouge et blanc à petits pois, contient cent quatre-vingt exemplaires du journal de poésie gratuit 21 minutes. Je marche. Et lui, me suit.
9H07
je sors du tram. Un trottoir de la Guillotière mal négocié et le cabas tombe. Dégueule une trentaine de revues. Une femme passe, regarde. Il me semble qu’elle a failli m’aider.
9H08
j’ai besoin d’un café.
9H11
je satisfais mon besoin.
9H20
j’arrive devant l’arrêt de métro. Les vendeurs de clopes à la sauvette sont là. Ils me regardent, je les regarde. On se dit bonjour. Courtois.
9H24
un des vendeurs vient à côté de moi, me demande ce que c’est. Je lui explique, il me dit « je prends merci, j’aime la poésie, tu connais Durkheim ?
– Durkheim, le sociologue ?
– Oui
– Oui, je connais, pourquoi tu me parles de lui ?
– Comme ça. Ça me fait penser à lui ce que tu fais. »
9H50
vingt-trois minutes que je ne distribue plus. Qu’on parle ensemble de sciences humaines. Qu’on mêle nos petits savoirs, lui en psychologie, moi en anthropologie. On parle de l’Algérie aussi.
10H
on se remet au travail.
« Journal gratuit de poésie / Marlboro cinq euros »
On se regarde. On co-signe le poème, sans rien se dire.
…
10H30
les flics arrivent.
10H29
les vendeurs à la sauvette ont tout rangé.
10H34
une douzaine de flics. Je leur propose la revue. Deux la prennent. Ils disent pourquoi pas. Je dis oui pourquoi pas.
10H40
ils la lisent.
10H43
deux yeux au beurre noir sur un corps de boxeur combattif débarquent.
Pas l’air commode.
Il vient vers moi, en tongs.
Il est musclé même des orteils.
Prend la revue.
Commence à lire.
10H50
« ce serait marrant si on se prenait en photos, avec les flics et la revue.
– Allez, ok. »
10H53
« quelqu’un a une objection si je fais une photo ? Vous croyez qu’il faut demander à la hiérarchie ? »
Pas de réponse.
« Allez, ok, vas-y, on prend la photo. «
10H52
Yeux au beurre noir, Durkheim, le flic, et moi.
10H53
Clic.
Station Grange Blanche
« Bonjour, journal gratuit de poésie
Bonjour, journal gratuit de poésie
Bonjour, journal de poésie gratuit
Bonjour, journal de groésie, poésie, gratuit
Bonjournal, pratuit, de journal
On fait une pause ? »
« Ah, de la poésie, pourquoi pas. Ça change. »
« Je vais le lire, merci. »
« Ah, vous avez changé de couleur, 20 minutes? »
« Je peux en prendre un deuxième pour ma grand-mère? »
« J’aime pas la poésie mais bon, ok. »
« Je serais vous, je le ferais payer votre journal gratuit. »
« Je le lirai pendant ma pause. »
Distribution à Charpennes et Grange blanche (photographie de Pam SoYou)

Comment l’idée de ce projet est-elle née ?
Fabien Drouet : « L’idée, me semble-t-il, n’est pas originale. Beaucoup de monde y a pensé. En voyant ces journaux gratuits d’infos, en voyant les gens sur leurs téléphones, en voyant les gens chercher quelque chose à lire et à vivre.
Je prends moi-même souvent le métro à Lyon, et j’ai eu envie d’y faire entrer ce que j’aime. Des poèmes et des images, des formes courtes artistiques, qui me semblent ouvrir des espaces, et traduire des manières de voir et des pensées sous-représentées dans l’espace public.
J’ai un enfant, je prends souvent le métro avec lui. Il me questionne. Il prend dans la tête et dans le corps une quantité énorme de messages, j’ai voulu aussi lui montrer par l’action qu’il est possible de prendre la parole, et que l’intégration n’est pas quelque chose d’unilatéral. La ville et l’espace sont publiques, et nous pouvons la changer, la faire s’approcher de nous. Sans les humains qui la composent, la ville n’est rien.
A petite échelle, chacun la crée et la transforme. Par une parole, un échange, par le dépannage d’un briquet, par un regard, par une phrase écrite sur un mur…
J’ai certainement voulu monter à mon fils, et me montrer à moi-même qu’il était possible encore d’agir.
L’échelle est minuscule, mais la possibilité d’agir est déjà réconfortante. »
Comment s’est passée sa concrétisation ?
Fabien Drouet : « J’ai lancé l’appel à textes à images et à l’aide.
Beaucoup de personnes m’ont écrit et encouragé, dès le début.
Ont aussi proposé leur aide, pratique ou financière.
Stéphanie Durdilly et Gaëlle Joly-Giacometti notamment. Nous nous sommes rencontrés à travers ce projet et nous formons maintenant une équipe.
J’ai créé une cagnotte en ligne. Nous avons récupéré de quoi imprimer 1000 exemplaires environ.
Et puis nous avons distribué.
Je ne m’attendais pas à ce que ça « marche » autant que ça. Alors j’ai été dépassé à certains moments… Il était difficile de répondre à toutes les propositions d’aide.
De faire le tri entre les propositions sincères et les propositions plus… intéressées.
Alors ça a été une sorte de parcours initiatique, sur lequel il a fallu faire beaucoup de choix.
Un parcours initiatique, parce que l’éthique du projet s’est construite au fur et à mesure, dans la pratique. »
Quel bilan aujourd’hui et quelles perspectives ?
Fabien Drouet : « La création de ce journal a été une aventure magique. Beaucoup de rencontres, beaucoup de partages…
Je ne suis pas très bon en « bilan », je préfère ne pas le faire et continuer. Faire vivre encore ce projet.
Maintenant, le but sera de sortir le numéro 2, de se débrouiller pour qu’il soit gratuit, et distribuer au plus grand nombre.
Je garde le même raisonnement qu’au tout début.
Ça DOIT être possible de faire un journal gratuit de poésie. Alors, on trouvera comment au fur et à mesure.
Par une autre cagnotte, par des lectures publiques, par l’imprimante de Pôle Emploi…
On verra bien.
En tout cas, l’envie est là. »
La soirée de lancement
21 minutes, journal gratuit de poésie au sens large est officiellement né le 18 janvier 2019. Retour en images et en voix sur cette soirée de lancement…